Philippe ne se pose pas trop de questions. Malgré le chantier titanesque qui s’apprête à débuter en face de sa boutique, de l’autre coté de la route, il semble imperturbable face au triste destin tracé pour sa boutique. Monument historique malgré elle, la maison est toujours scindée en deux aujourd’hui : d’un coté épicerie, et de l’autre le bar. De temps à autre, la frontière entre ces deux parties devient floue, et on ressent agréablement les effluves d’un temps pas si lointain, où la boutique était un des principaux commerces de la ville. Les clients de Philippe se connaissent tous, et la plupart y viennent chaque jour, les visites se raréfiant en fin de mois. On peut y entendre des discussions dès l’ouverture, à 8h. Le patron ne sert pourtant pas de café. Les yeux des passants sont parfois inquiets ou méfiants, envers cette faune d’habitués parfois titubants. Eux viennent ici souvent pour échapper à une possible solitude, ou un éventuel ennui. Ici on cause de tout, on crie parfois. Sans le vouloir, Philippe résiste avec sa boutique à toutes les actions, pourtant énergiques, des promoteurs immobiliers et autres bailleurs sociaux qui ont défiguré les villes, et aseptisé toute forme de vie sociale. Les clients de chez Philippe, que je photographie pendant cette résidence, sont eux aussi, les résistants involontaires à cette course effrénée au développement.